18 avril 2024
Les fonds publics proviennent des impôts de chacun et le gouvernement a le devoir de s’assurer que ceux-ci sont bien utilisés. Dans cette optique, pour avoir une image fidèle de la situation financière des organismes qu’il subventionne, le gouvernement provincial demandait jusqu’au 3 avril dernier des états financiers audités des organismes lorsqu’ils recevaient plus de 150 000 $ du gouvernement du Québec ou des municipalités. Un allégement de la reddition de comptes qui touche près de 2 000 organismes communautaires a été annoncé par le gouvernement du Québec qui rehausse le seuil de subventions à partir duquel un audit financier est requis à 500 000 $.
Pour bien comprendre ce changement, il faut se rappeler en quoi consiste une mission d’audit d’états financiers. Réalisée par un comptable professionnel agréé (CPA), la mission d’audit lui permet de formuler une opinion avec un niveau d’assurance élevé sur la fidélité des états financiers de l’organisme conformément aux normes comptables en vigueur.
Afin de fonder son opinion, l’auditeur doit comprendre le fonctionnement de l’organisme, évaluer son système de contrôle interne, réaliser des tests sur les processus importants au niveau des revenus et des dépenses, consulter des pièces justificatives probantes, obtenir des confirmations externes à l’organisation et obtenir diverses déclarations écrites et verbales de la gouvernance et de la direction. Ces procédures sont nécessaires pour déterminer si les états financiers reflètent adéquatement la situation financière de l’organisation et ses activités pendant la période couverte par l’audit.
Selon les nouvelles directives, si leurs revenus provenant de subventions gouvernementales ou municipales sont compris entre 50 000 $ et 500 000 $, les organismes communautaires sujets à l’allégement devront généralement faire réaliser une mission d’examen par leur auditeur. Dans le cadre de la mission d’examen, le CPA donne un niveau d’assurance limité sur les états financiers. Les procédures appliquées, en sus de la compréhension des activités de l’organisation, se limitent généralement à des prises de renseignements, des discussions avec la direction et la gouvernance et des analyses comparatives et de ratios. Il est évident que les procédures mises en œuvre dans le cadre d’une mission d’examen sont considérablement plus restreintes en étendue que celles mises en œuvre dans un audit.
À première vue, il s’agit d’une bonne nouvelle pour les petits organismes communautaires qui réduiront leurs coûts et leur charge de travail administrative. De plus, le processus d’audit peut être stressant et exigeant pour les très petites équipes qui s’appuient principalement sur la direction ou des bénévoles qui ne possèdent pas nécessairement les connaissances financières requises et qui héritent souvent par défaut de cette responsabilité. Nous sommes d’avis que cet allégement pourrait être bénéfique pour certains organismes dont le financement se résume à une ou deux subventions et peu de revenus autonomes.
Nous tenons toutefois à rappeler au public, aux gouvernements et aux différentes parties prenantes les divers avantages de l’audit qui n’ont pas été abordés ni présentés dans les médias à la suite de l’annonce du gouvernement.
La décision de procéder à une mission d’audit n’est pas dictée uniquement par le gouvernement. Parmi les autres exigences ou les incitatifs, nous retrouvons :
les exigences légales, notamment pour les organismes constitués en vertu de la Loi canadienne sur les organismes à but non lucratif ;
les règlements généraux, qui peuvent fixer un niveau d’assurance minimal sur les états financiers ;
les membres, qui peuvent exiger un audit ;
les administrateurs, pouvant par exemple vouloir ajouter ce contrôle financier additionnel dans le cadre de ses responsabilités de surveillance de l’organisme ;
tous les bailleurs de fonds incluant notamment les gouvernements, mais également les fondations, les donateurs, les organisations privées, publiques ou parapubliques ;
et le grand public.
Ces parties prenantes peuvent exiger un audit sachant qu’il s’agit du niveau d’assurance le plus élevé qui peut être émis sur les états financiers. Il en va de la crédibilité des finances de l’organisme. N’oublions pas que les organismes gèrent d’importantes sommes provenant de fonds publics.
Un audit n’est pas seulement une dépense ou une lourdeur administrative, car il permet à l’organisme d’avoir en main des états financiers les plus crédibles pour aller chercher du financement auprès de bailleurs de fonds potentiels et/ou de donateurs et pour recruter des administrateurs qui souhaitent s’impliquer auprès d’organismes visant les meilleures pratiques en matière de gouvernance.
L’audit permet aussi d’avoir un accès privilégié à un professionnel du domaine financier qui pourra fournir annuellement à l’organisme des recommandations administratives sur les contrôles, la gestion financière ainsi que la conformité aux règles fiscales en vigueur. L’audit permet aussi à l’organisme d’avoir accès à une ressource externe qui comprend en profondeur ses activités et ses finances, et qui pourra être en mesure de répondre à ses questions ponctuelles sur divers sujets.
À titre de CPA et de contribuables, nous sommes d’avis qu’il y a un enjeu potentiel de protection des intérêts du public. Par ailleurs, nous croyons qu’un allégement du niveau d’exigences pourrait être souhaitable, mais dans une moindre mesure que le passage du seuil de 150 000 $ à 500 000 $.
Nous sommes d’avis que le gouvernement aurait dû également valoriser une information financière de qualité, non pas en réduisant les exigences à un tel niveau, mais plutôt en prévoyant du financement adapté à la reddition de comptes exigée. Les petits organismes sont souvent ceux qui bénéficient le plus d’un regard externe en profondeur comme celui d’un CPA lors d’un audit. Le gouvernement aurait pu aussi prévoir la mise en place de mesures et d’incitatifs permettant d’accroître le bassin de CPA et futurs CPA disponibles pour les organismes pour réaliser les missions adéquates. Pour faire une analogie avec le secteur de la santé, une pénurie de personnel ne doit pas entraîner une réduction dans les standards des services de santé offerts à la population. Le même raisonnement devrait s’appliquer à la santé financière des organismes et à la gestion des fonds publics. Un seuil révisé de 250 000 $ nous aurait semblé plus approprié pour conserver un équilibre entre la réduction de la charge administrative des organismes et un niveau élevé de confiance de la population vis-à-vis l’usage des fonds publics.
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À propos de l’auteur
Caroline est l’une des associés fondateurs du cabinet APSV comptables professionnels agréés inc., spécialisé dans les services auprès d’organismes à but non lucratif. Comptable professionnelle agréée depuis 2006, elle possède plus de 15 ans d’expérience en audit. Au cours de ces années, elle a occupé divers postes allant des normes professionnelles à la formation, dont à titre de stagiaire d’enseignement et chargée de cours en comptabilité à HEC Montréal, au sein de différents cabinets.
Caroline est également, depuis 2012, animatrice et co-auteure de matériel de formation pour le secteur de l’audit d’OBNL privés au sein de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec et est membre du groupe de travail technique du secteur des OBNL auprès de l’Ordre. Elle est également membre du Groupe de travail sur les questions techniques de la Direction des organismes de bienfaisance de l'Agence du revenu du Canada. Ses diverses expériences lui ont permis d’élargir sa vision et son choix d’œuvrer auprès des organismes à but non lucratif se justifie par son désir de contribuer à l’amélioration de leur information financière et par ses aspirations à contribuer à un monde meilleur.
Sébastien est l’un des associés fondateurs du cabinet APSV comptables professionnels agréés inc., spécialisé dans les services auprès d’organismes à but non lucratif. Comptable professionnel agréé depuis décembre 2004, il dispose de plus de 15 années d’expérience en audit, dont 13 ans dans le domaine des OBNL.
Ses études et champs d’intérêts dans des domaines diversifiés (2 ans au baccalauréat en histoire, DEC en technologie de l’architecture) lui permettent d’avoir une approche unique de la comptabilité et de l’audit. Sébastien a également été, de 2012 à 2020, animateur et co-auteur de matériel de formation pour le secteur de l’audit d’OBNL privés au sein de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec. Il a de plus siégé au sein de plusieurs conseils d’administration d’organismes à but non lucratif au fil des ans. Depuis 2020 il collabore avec Espace OBNL pour offrir des formations en comptabilité et littératie financière aux membres d'Espace OBNL. Il offre aussi des services conseils et de formations au sein de sa firme APSV en plus des services de certification et autres.
Il apprécie travailler auprès des organismes à but non lucratif, car il juge que sa contribution favorise à la fois l’atteinte de leurs objectifs et l’amélioration de la société en général.
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